Notre pays détient le record de la proportion d’usagers de drogues illicites au sein de l’UE, et celui en particulier des 15 à 34 ans. 80 % de la consommation est liée au cannabis. Elle concerne cinq millions d’usagers dans l’année, 900 000 au quotidien. Dès l’âge de 15 ans, près de 9 % des adolescents présentent un risque élevé d’usage problématique.
Côté offre, l’industrie du cannabis est essentiellement délocalisée : 70 % de la résine consommée en Europe vient du Maroc. Depuis trente ans, sa forte montée en taux de substance active (THC) alimente les problèmes de dépendance et les troubles psychotiques.
Notre pays peut-il porter un regard apaisé sur sa politique des drogues ?
Depuis cette année, l’expérimentation du cannabis médical pour 3 000 patients souffrant de maladies graves rejoint la pratique de nombreux pays mais la législation française sur les produits illicites reste une des plus sévère en Europe. Elle illustre l’absence de corrélation avec les niveaux de consommation, en particulier de cannabis. Des facteurs impactent les usages, notamment leur représentation sociale.
L’exemple de nos voisins portugais est le plus fréquemment pointé. Après deux décennies de basculement de doctrine, à dominante pénale avant 2001 puis sanitaire ensuite, les niveaux de consommation observés pour toutes les drogues illicites sont inférieurs, les plus faibles pour la tranche des 15 à 34 ans. Le taux de mortalité lié aux drogues est aujourd’hui le moins important de l’UE, quatre fois inférieur à la moyenne européenne. Si la diffusion du cannabis s’est élargie à toutes les tranches d’âge, le ratio de l’usage problématique d’opioïdes est proche de celui de la France. En revanche, la proportion d’adolescents précocement initiés au cannabis est deux fois inférieure à celle observée dans notre pays, qui détient le record européen.
Le Portugal est présenté – à tort – comme un exemple de «légalisation» des drogues. Son paradigme sanitaire, de réduction des risques, est à rebours d’une doctrine française fondée sur l’abstinence. A certains égards, nos amis lusitaniens considèrent l’usager comme un patient nécessitant des soins quand notre droit prévoit l’emprisonnement pour un délinquant. Les résultats en termes de consommation et de prévalence révèlent que la réponse pénale française ferme la porte à l’aide sanitaire. Elle produit de moins bons résultats que l’incitation aux soins, conjuguée à une politique de sanctions proportionnées mais immédiates.
Concrètement, la loi portugaise oblige le consommateur interpellé à se présenter en entretien devant une commission de dissuasion de la toxicomanie (CDT). Cette commission, composée de fonctionnaires des métiers du social, de la police et du judiciaire, évalue la récidive et la réponse en termes sanitaire, social ou d’amende. Cette dernière est conditionnée à un seuil de détention en deça duquel les poursuites pénales sont exclues (dans plus de 80 % des cas). Ces suites sont réservées aux trafiquants dont les peines sont aggravées en cas d’«association criminelle» ou à des usagers dont la détention de produits dépasse un nombre de jours de consommation.
Les délais moyens de réponse des pouvoirs publics sont de l’ordre d’un à deux mois pour la CDT portugaise quand le délai médian de la justice française est de l’ordre de huit mois pour les mineurs faisant l’objet de peines alternatives, c’est-à-dire environ les trois quarts de ceux condamnés pour usage (17 000 en 2016).
La question du cannabis est emblématique de maux français. Délesté d’une base productive y compris à des fins médicales, notre pays a lâché la proie d’une politique de réduction des risques et de contrôle sanitaire pour l’ombre de l’abstinence sous un régime pénal.
Notre pays caracole depuis de nombreuses années en têtes des classements pour la consommation de substances illicites et singulièrement de sa jeunesse. Il a organisé une réponse étatique (policière, judiciaire) coûteuse, qui évince d’autres contentieux dans des listes d’attente records, peu réactive. Il laisse prospérer des pans entiers de son territoire sous la coupe d’un employeur aussi important que la SNCF, distribuant autorités et revenus informels.
– Par Jean-Marc Pasquet, président du think tank Novo Ideo et membre du Comité Exécutif de TdP
Tribune originale parue dans Libération | 19 août 2021